Quand j'étais petite
J'ai vécu les dix premières années de ma vie dans un hameau surnommé le hameau des fous par les habitants des communes voisines. Les fous.... des garçons âgés 14 à 18 ans placés par leurs familles au Château, transformé en centre psycho-thérapeutique par un psychiatre pas tout à fait comme les autres puisque les fous étaient en liberté.
Si certains villageois changeaient de trottoir en les apercevant, ce n'était pas mon cas ni celui de mes parents : deux de ces fous nous ont servis de nounous, à mes frères et moi, durant plusieurs étés lorsque mes parents étaient absents.
C'est ainsi que j'ai appris, très tôt, à fabriquer un lance-pierres, à tuer des grives d'un seul coup, proprement, sans les faire souffrir, et à préparer un "barbecue" avec des pierres et un morceau de grillage. Le rituel de nos goûters avec les deux fous est encore ancré dans mon souvenir, saupoudré d'un petit frisson d'interdit et de secret puisque mes parents n'en ont jamais rien su : aller piquer des pommes de terre à la cave, les mettre sous la cendre et regarder rôtir les grives, en silence, assis en tailleur autour du feu.
Le rituel des soirées est également inscrit dans ma mémoire : les deux fous dînaient avec nous dans le jardin et, à la fin du repas, l'un d'eux (il boitait je m'en souviens), prenait sa guitare et chantait le répertoire de Bécaud, probablement à la demande de ma mère.
Quand j'écoute la chanson "Mes mains", je suis immédiatement transportée au hameau des fous, là où j'ai passé les plus belles années de mon enfance.