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3 octobre 2009

Le billet de Martin

Enfances

KaOs mais debout

Un train à vapeur qui t'emporte dans la brume. Une plage de temps libre, une langue de sable, une mer qui s'endort. Des vagues un peu molles sous un ciel encore à tendre. Du linge au soleil. Un bateau qui s'en va pour ne jamais revenir. Un autre qui n'en mène pas large. Des lignes sur un cahier à petits carreaux et, derrière, quelqu'un à la fenêtre qui ne passera pas l'hiver. Des pêcheurs bredouilles qui se demandent est-ce que c'est ça une vie. Un miroir et son alouette. Un espoir déçu mais vivant, toujours. Un drapeau d'aucun pays flottant dans le vent, libre. Tout ce qu'on dit dans ce qu'on ne dit pas. Tout ce que les mots racontent d'une histoire illisible. Un dictionnaire à écrire sur le sens de nos vies. Des images, des mots du passé qui dessinent un avenir où tout n'est pas si noir, parce qu'il ne faut pas mourir, parce que vivre est précieux, dit-on. Une mémoire vive qui n'oubliera jamais rien. Où chaque souvenir sera toujours un cadeau, un présent, un aujourd'hui à sourire, quelque chose encore à faire, à cultiver, parce qu'on ne sait jamais.

Deux mains douces pour y poser une bouche. Des yeux fermés pour imaginer un vaste monde. Un silence qui prend tout. Un cri pour le rompre. Une déchirure éternelle. Un orage intérieur. Un univers à l'envers. Une chaîne d'arpenteur pour en prendre la démesure. Une plume légère pour écrire des mots d'amour, et qui ne servirait qu'à ça. Une adresse où les envoyer. Oui mais l'adresse est perdue. Oui mais les mots sont les mêmes.

Quand je dessine je pense à tout ça. Je trace des figures, des visages comme des paysages. Des enfances de lumière que la nuit va manger. Le sentiment confus qu'il n'y a pas de route, seulement des chemins de fortune. Des enfances la mort sous la peau. Je fume, j'efface, et je ne parle qu'à moi. C'est mauvais, souvent. Aussi âcre que cette poudre de saule au bout de mes doigts. Je recommence, je fume, j'efface encore, et tu pars pour toujours. C'est la vie. Ca fait mal, c'est comme ça. Ventre de pierre. Je barbouille le papier, histoire de m'occuper à autre chose que ce qui me hante. Et du noir émerge un chaos enlaçant sa douleur. Des papillons en lambeaux. La pluie du chagrin. Des chiens errants reniflant la blessure. Les entités blanches d'une galaxie défunte. Les serpents nichés dans mon crâne. Un chaos sans violence pourtant, et qui ne serait pas la mort. Plutôt quelque chose d'immensément doux et tendre, noyé dans sa désespérance absolue. Dont je tenterais d'extraire la lumière essentielle.


Je laisse tout venir, aussi, de ma propre enfance. Les hurlements des bêtes sacrifiées, le carnaval des fouets, les peurs emmurées dans la prison du silence, la prédation des géants. Je laisse tout venir, toute mon histoire. Je laisse tout venir dans ma tête où sont mes mains. Pour savoir où j'en suis, si l'humain a gagné un peu, encore, sur l'animal. Si ma punition est finie. Je dessine comme je vis, je vis comme je peux. Parfois ça déraille, ça sort du cadre, ça s'en va sur les murs parce que la feuille est trop petite, ça grimpe comme des araignées, des mots noirs, velus, avec des pattes. Les mots d'un dessein qui m'échappe. Revenir alors, revenir du vertige. Et puis écrire ce que j'échouerai toujours à montrer.

Je dessine des visages, les figures d'un visage qui pourrait être le mien et celui de tous les hommes. Ce que chacun de nous reconnaît de soi dans ces têtes qui ne sont pas les nôtres, cette beauté profonde et fragile vouée à la disparition, que le temps, petit à petit, défigure. L'espérance dressée dans la nuit d'un regard.

Quelle saveur aura le monde, le désert à venir ? Où trouver la force de vivre pour d'autres quand elle me manque pour moi-même ? Mais il y a des choses à faire, des choses ordinaires de la vie d'ici. Qui seront faites parce qu'il le faudra bien, pas le choix, même le regard vague, l'esprit ailleurs. Là-bas où l'indien fou cherchera sans trêve jusqu'à la fin des jours les traces de cette terre disparue où coule son sang.

Je me souviens de ma chère amie, de nos promenades sur les landes, les soirs d'été, quand nous avions dix ans et une vie devant nous, quand rien de nos existences ne s'était encore abîmé. Quand nous ne savions pas que rien ne tiendrait jamais debout. Qu'il n'y a rien à savoir. Qu'il n'y a que des choix à faire, et que nous nous trompons souvent. Que ce nous avons loupé nous ne l'avons pas assez voulu, peut-être. Et pourtant, pourtant...

Le voisin est passé, deux minutes, il voulait un coup de main pour le bois. On a bu un verre, échangé trois mots. Je ne saurai jamais s'il est triste, il sourit rarement et quand il le fait c'est comme un effort. La pénombre est venue. Comme viendra la nuit aussi, l'immense nuit sans fond où se perdront mes songes.

Dans l'atelier assombri de crépuscule, mains suspendues, aveugle, interdit, abandonné à la morsure, je me fige dans l'abstraction du monde. J'attends la vie pour qu'elle me rattrape. Je me penche à la fenêtre pour y regarder le ciel, respirer l'espace, je n'y vois que mon intérieur, un peu rabougri, un peu étouffant. Une cellule aux murs sombres et nus, écrans d'une projection intime où défilent les images d'un voyage sans but à travers une plaine déserte où coule une rivière se mourant dans un delta qui n'atteindra jamais la mer. Une boucle absurde qui s'annule dans la fin même qui la recommence. Je voudrais autre chose dont je ne sais pas le nom. Quelque chose qui toujours s'en va, ne fait jamais que passer et me file entre les doigts. Quelque chose. Quelqu'un. Qui aurait des yeux comme des portes, du bleu des ciels lavés des tempêtes.

Et vient cette ombre adorée qui toujours traversera le monde pour me rejoindre à l'appel incessant de mon coeur.

Quand je dessine je pense à tout ça. Quand je ne dessine pas aussi.

Martin CADEAU

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Commentaires
A
"Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence." Christian Bobin, L'Inespérée.<br /> <br /> Je ris.Quel malheur.<br /> Arthémisia
T
"Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence." Christian Bobin, L'Inespérée.<br /> Plus de mots, plus de voix, des images alors ?Merci Monsieur Martin Cadeau.
M
à bientôt à te lire ailleurs....<br /> <br /> Hé ! souris-moi....<br /> <br /> :-)
M
Vous avez bien lu, vous ne trouverez plus les "billets de Martin" sur Blogamû....<br /> Désolée.<br /> Peut-être encore sa voix, je l'ignore pour l'instant.
M
J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous, la "Souris" :<br /> - la bonne : Vous avez gagné ! je n'hébergerai plus Martin sur Blogamû.<br /> - la mauvaise : je sais tout de vous, nom, adresse, n° de sécu... tout ! J'avoue avoir eu beaucoup de mal à convaincre l'ami (un vieux matou retors sévissant au dernier étage du 36) susceptible de m'aider à remonter votre piste, mais il a fini par accepter. Il faut toujours faire attention où l'on met les pieds...<br /> <br /> Elle est pas belle la vie ?<br /> <br /> <br /> http://www.enfant.com/votreenfant-1-3ans/jeux-et-jouets/Video-Une-souris-verte.html
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